Samuel Ackerman
“ Une finalité que nous ignorons encore ”
Pouvez-vous commenter l’installation que vous avez réalisée en 1980 dans le désert, sur le chemin de Bethléem à Bersheva ? C’est une double rencontre. Je l’ai située sur le lieu même où Dieu apparaît à Abraham sous la forme de trois hommes (Ge 18), mais la référence à l’icône de Roublev est une manière d’y associer le dogme chrétien de la Trinité. Pour moi c’est à la fois une rencontre avec la Bible et avec Roublev ; chez Roublev l’or symbolise la force de Dieu, c’est une vibration, une respiration, comme la lumière des cierges. |
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Ici tout est dématérialisé, les rouleaux évoquent les anges et les lignes remplacent l’or pour évoquer la puissance de Dieu. Je n’ai pas utilisé de couleurs mais la couleur est dans l’espace même. L’installation a eu lieu un après-midi vers 15h (« au plus chaud du jour »), les étapes se suivaient de quelques minutes.
Pourquoi ce choix de l’icône de la Trinité ?
Tout d’abord parce que j’aime les icônes depuis toujours. Pour moi, leur création relève du miracle. C’est le monde visuel dans lequel je vis, un langage profond et une croyance très importante sur le plan spirituel, qui permettent de s’approprier la foi. Quant au dogme de la Trinité tel qu’il est exprimé par le christianisme, il ne m’inspire aucune hostilité, je l’accepte. Nous avons la même tradition et dans le judaïsme aussi, par exemple dans l’idée de « Couronne mystique » développée par l’école kabbalistique, la puissance de Dieu s’exprime par plusieurs forces. Nous ne pouvons pas nous-mêmes nous rapprocher de Dieu ; c’est Lui qui nous donne les étapes. Pour moi, le christianisme trinitaire est une étape, comme les différentes sphères que l’on étudie dans le judaïsme.
Beaucoup de vos toiles évoquent des thèmes bibliques ; pourquoi ce choix ?
Le problème n°1 de l’art est celui de l’image biblique. L’art sacré est pour moi un langage spécifique permettant une perception visuelle des mots profonds de Dieu. La véritable inspiration est toujours de nature sacrée, c’est un mouvement du cœur, comme dans la prière. La foi qui agit pendant la création permet de dépasser le réalisme. Aujourd’hui, la création est libre, elle n’obéit plus à des règles canoniques (comme autrefois dans les icônes : « combien de traits dans la barbe ? ») ; chaque œuvre crée son propre langage, mais celui-ci doit toujours être d’inspiration sacrée (même si l’artiste se déclare athée, son travail peut relever de cette inspiration). Le problème aujourd’hui, c’est que le monde s’impose dans l’art, et que certains artistes utilisent le langage spécifique à l’art sacré pour des sujets profanes.
Vous avez traité le thème de la Cène, et plus récemment celui de l’Annonciation ; est-ce l’Incarnation que vous cherchez à évoquer ? Bien sûr, le judaïsme n’utilise pas la même formulation. Mais je pense que l’Incarnation a à voir avec le destin des peuples, avec une finalité que nous ignorons encore. Par l’Incarnation aussi, notre croyance en Dieu nous permet de nous intéresser au destin de l’Homme.
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