Art Brut : Le chemin « Collages » de Patricia Borgia
“ Quelque chose en moi qui a envie de sortir ”
Alors, comment « ça » a commencé ?
Ça a commencé avec ma découverte de Basquiat. Pas dans un musée, je n’ai pas le temps d’y aller, mais dans un magazine. J’avais vu un film sur Basquiat qui m’avait intéressée, un film joué par un acteur (« Basquiat », film réalisé par le peintre Julian Schnabel en 1996). Dans ce magazine j’ai trouvé une reproduction, que j’ai découpée pour en faire la moitié d’un visage.
Pourquoi seulement la moitié ? |
© Patricia Borgia |
Après l’avoir terminé ? Pas pendant l’exécution ?
Non, je n’avais pas de recul pendant que je le faisais. Je n’en ai jamais, ce n’est qu’une fois le collage terminé que je pense au titre que je vais lui donner, et c’est comme ça que je découvre ce que j’ai fait.
Sais-tu pourquoi cette reproduction d’un tableau de Basquiat a déclenché ce besoin d’en faire quelque chose d’autre ?
J’aime le personnage de Basquiat, le film que j’avais vu montrait bien que ce peintre était à la fois torturé et exubérant, et comment sa peinture exprime à la fois la joie et l’angoisse. Je me sentais proche de lui à cet égard, et j’ai eu envie de m’approprier ce tableau, pour qu’il continue à vivre.
Le tableau ? Le peintre !
Et ensuite ? Pourquoi en avoir fait d’autres ? |
© Patricia Borgia |
Quelle sorte d’enfermement ?
D’abord un enfermement matériel, puisque mon travail m’oblige à rester dans cette loge une grande partie de la journée (Patricia est gardienne dans un établissement scolaire). C’est pour cela que j’ai appelé un de mes collages « Le temps dans l’aquarium ». On y trouve à la fois l’enfermement et une aspiration à l’ouverture. Je n’avais pas d’idée à l’avance, j’ai coupé et collé. Au début je n’interprétais pas mes collages, maintenant je les regarde autrement. A partir de couleurs, de choix de formes, comme un sol en marbre, je me suis rendu compte que j’exprimais ce que je ressentais.
Cet enfermement dont tu parlais, c’est simplement celui de la loge ?
Non, je pense qu’il s’agit de quelque chose de beaucoup plus profond, quelque chose en moi qui a envie de sortir. Il y a des choses qui viennent de loin, qui m’éclairent ; par exemple quand j’utilise des symboles, comme dans le collage « Entre dune et colline ». Dans ce paysage tout à la fin j’ai ajouté un couple – deux petites ombres.
Pourquoi ?
Parce que je suis en couple. Et parce que je le sentais vide, ce tableau. Une fois que je l’ai ajouté, dans le coin, je me suis fait une petite histoire dans ma tête en pensant que les deux personnages allaient cheminer ensemble. Quand je fais ces collages je trouve une sorte de joie que j’ai du mal à trouver dans ma vie.
© Patricia Borgia |
Toujours ?
Non, il y en a un que j’ai déchiré. Je l’avais appelé « Blues », il était bleu foncé avec une ombre tout au bout du pont et un masque blanc tout en larmes. Je ne voulais pas le montrer. Je sais que je dois en passer par là mais ce tableau disait des choses qui me mettaient mal à l’aise.
Mais tu aurais pu le garder, sans le montrer.
Oui mais je le trouvais excessif, j’y voyais une souffrance que je ne comprenais pas et que je n’acceptais pas.
Penses-tu que cette recherche d’ouverture a à voir avec tes origines antillaises ?
C’est vrai que les paysages de la Guadeloupe me manquent, mais je ne pense pas que cela joue un rôle très important, même si j’avais déjà 23 ans quand je suis venue en France. Et je n’ai pas l’impression que mon travail de collages ressemble à ce qu’on appelle la « peinture antillaise » - même si maintenant j’ai aussi envie de travailler avec la peinture.
Et alors à ton avis, cette recherche est de quelle nature ?
Je ne sais pas, ça me tombe dessus, je suis étonnée et heureuse de ce qui m’arrive. Je crois que je suis fière de moi, ça aussi c’est une joie.
Entretien réalisé le 7 juin 2012